Faire payer l’entrée en Suisse? Mauvaise idée!
L’essentiel en bref:
- L’idée de «gérer l’immigration par les prix» pour la rendre «plus qualitative» ne tient pas compte des réalités actuelles
- La Suisse fait face à un problème structurel en raison du vieillissement de sa population
- Restreindre l’immigration aux «métiers à forte valeur ajoutée» priverait la Suisse de nombreux travailleurs dont elle a pourtant besoin
C’est bien connu. En Suisse, on préfère la qualité à la quantité. C’est sur la base de ce vieil adage qu’un chroniqueur proposait récemment dans les colonnes du Temps de «gérer l’immigration par les prix». Concrètement, il s’agirait de fixer une sorte de ticket d’entrée à payer pour chaque personne désirant venir travailler en Suisse afin de «rendre l’immigration plus qualitative, car elle serait restreinte aux métiers à forte valeur ajoutée». Bien entendu, l’auteur se garde bien de dire ce qu’il entend par «métier à forte valeur ajoutée». On pense spontanément à des chercheurs et autres scientifiques de haut vol, qui sont convoités aussi bien par des institutions prestigieuses que des grandes entreprises ou même des États. Ou alors à des hauts cadres d’envergure internationale. On peut aisément imaginer qu’une taxe d’entrée ne serait pas un obstacle, au vu des montants de toute façon investis pour les attirer.
Quelle définition?
Le hic, c’est que ce ne sont pas ces quelques profils très pointus qui font augmenter la population de la Suisse. Ce sont d’abord les Suisses eux-mêmes, qui vivent toujours plus longtemps. Mais aussi le maçon portugais, qui construit et assainit nos logements. De même que la soignante espagnole, qui prend soin de nos aînés à l’EMS. La puéricultrice française, qui s’occupe de nos enfants à la crèche. Ou encore le serveur italien ou le plombier polonais, dont le mythe ne s’est jamais réalisé, comme peuvent en témoigner tous ceux qui ont attendu longtemps un dépannage sanitaire.
La question de savoir lesquelles de ces personnes seraient considérées comme occupant un «métier à forte valeur ajoutée» reste entière. Si les critères se mesurent au niveau de formation, en exigeant par exemple un niveau universitaire, bon nombre d’entre eux seraient disqualifiés. Et si les critères portent au contraire sur des bénéfices financiers attendus, qu’advient-il de l’infirmière ou du médecin étranger? Généralement très bien formés, ces derniers ne «rapportent» pas d’argent. Leur valeur ajoutée est sociétale, et donc par essence difficile à chiffrer. Mais elle est immense.
Qui paye?
Se pose également la question de savoir qui payerait. Les restaurateurs, qui peinent déjà à tourner? Les salariés eux-mêmes, qui verraient leur pouvoir d’achat diminuer? Les entreprises, déjà malmenées par les turbulences économiques actuelles? Le consommateur, sur qui on répercuterait cette hausse des prix? Ou encore l’État, dont les caisses sont déjà dans le rouge?
La croissance démographique pose incontestablement des défis. Mais le vieillissement de la population aussi. Tout comme les besoins qui vont encore s’accroître dans des domaines qui peinent déjà recruter, comme la santé et les soins. De même que le manque de relève pour compenser le départ à la retraite massif des baby-boomers ces prochaines années. Autant de questions que laisse également ouvertes la proposition d’une «taxe d’entrée» pour les travailleurs dans notre pays.
Cet article est paru le 17 avril 2025 dans Le Temps.