
L’économie freinée par l’incertitude
La croissance économique de la Suisse ralentit légèrement. L’économie mondiale, déstabilisée, perdra nettement de sa vigueur au fil de l’année. La faiblesse de la demande est marquée dans le domaine des biens d’investissement, mais touche également l’industrie des biens de consommation et l’économie d’exportation suisses. Les exportations de services sont moins affectées. Comme il faut s’attendre à la persistance des différends commerciaux, les perspectives pour 2026 restent contenues. L’économie intérieure suisse enregistre, pour sa part, une croissance solide. economiesuisse s’attend à ce que le produit intérieur brut (PIB) réel de la Suisse progresse globalement de 1,1% en 2025. La croissance est estimée à 1,4% en 2026, ce qui est en deçà du potentiel. La situation de l’emploi se détériorera légèrement et le taux de chômage atteindra 3,0% (2025) et 3,1% (2026). L’inflation se situera en moyenne à 0,3% en 2025 et à 0,8% en 2026. Les taux d’intérêt à court terme tomberont à zéro.
La politique douanière erratique des États-Unis déstabilise fortement les marchés mondiaux. Elle tombe dans une période où les tensions géopolitiques – guerre en Ukraine, conflit au Proche-Orient ou conflit commercial persistant entre les États-Unis et la Chine – sont déjà très importantes. Personne ne sait comment les conditions d’accès au marché américain évolueront. Sous l’effet des mesures de rétorsion prises entre autres par la Chine et l’UE, les chaînes d’approvisionnement internationales existantes se fragilisent à nouveau – elles avaient déjà été malmenées pendant la pandémie de Covid-19. Les incertitudes affectent tous les exportateurs, car ils utilisent généralement des éléments provenant de plusieurs pays. Les produits sont en effet désormais souvent composés de matériaux et de composants semi-finis provenant d’une multitude de régions. La situation peut devenir très compliquée pour les entreprises, en particulier pour les PME. Les incertitudes sont particulièrement grandes en ce qui concerne les biens d’investissement. Certains clients reportent voire annulent des achats de machines et d’équipements. Cela impacte directement le carnet de commandes des entreprises suisses, qui se réduit parfois drastiquement.
La faiblesse de la demande affecte toutes les grandes régions du monde. Les États-Unis ne jouent plus leur rôle de moteur de la croissance économique mondiale et la conjoncture européenne est en panne depuis un certain temps déjà. L’économie allemande, en particulier, peine à décoller, notamment parce que, comme la Suisse, elle produit beaucoup de biens d’équipement. À cela s’ajoute une faible croissance dans le secteur de la construction automobile, qui joue un rôle déterminant pour l’économie mondiale. La Chine pâtit toujours de la crise dans le secteur de l’immobilier et du faible niveau de la consommation.
Suisse: le commerce extérieur de marchandises en repli
Les chiffres actuels du commerce et l’excellent premier trimestre 2025 masquent en partie l’ampleur du ralentissement de la demande. Au cours des trois premiers mois, des commandes antérieures ont pu être livrées et les clients ont gonflé leurs stocks en prévision d’un relèvement des droits de douane. La forte hausse du volume du commerce mondial en mars traduit aussi cette réalité. Ce bond sera suivi d’un net ralentissement. Grâce à l’effet de base de ce bon premier trimestre 2025, le taux de croissance pour 2025 reste globalement positif. Pour la Suisse, il est en outre très pertinent de savoir si les barrières commerciales cibleront pour la première fois les produits pharmaceutiques et si l’administration américaine interviendra dans la formation des prix des médicaments. Ces dernières années, l’industrie pharmaceutique a soutenu l’évolution conjoncturelle de la Suisse, notamment dans des périodes marquées par des défis économiques.
Les conséquences du ralentissement de la demande internationale deviendront plus visibles en Suisse au fil des mois et les exportations diminueront par rapport au premier trimestre. L’industrie des machines et l’industrie horlogère s’attendent ainsi à un nouveau recul du chiffre d'affaires. Dans les industries textile, chimique et alimentaire, les perspectives sont mitigées et varient fortement en fonction des marchés et des produits sur lesquels les entreprises sont présentes.
Si les marchés des biens sont secoués, les marchés des services se développent de manière plus stable. Cela vaut surtout pour les exportations de services d’assurances et bancaires, un domaine dans lequel les clients internationaux apprécient la stabilité de la Suisse. En ce qui concerne le tourisme international, il faut s’attendre à une légère baisse du chiffre d’affaires, sur fond de ralentissement de l’économie mondiale et de renforcement du franc suisse à un niveau élevé. Sur l’ensemble de l’année, les exportations devraient légèrement augmenter, grâce à un bon premier trimestre.
La consommation soutient l’économie intérieure
Les secteurs axés sur le marché suisse tablent pour la plupart sur une évolution stable. On déplore toutefois l’absence d’impulsions positives: la croissance de l’emploi ralentit, le nombre de postes vacants augmente légèrement et l’immigration diminue quelque peu. Le taux de chômage n’augmente cependant que modérément et atteindra quelque 3,0% cette année et 3,1% l’an prochain. À noter que le nombre de personnes en RHT – un stabilisateur automatique de la conjoncture – est en nette hausse. Les secteurs publics et proches de l’État continuent de croître à un rythme supérieur à la moyenne comme par le passé (santé, enseignement, administration publique); les banques et les assurances progressent parallèlement à l’économie dans son ensemble. Les prévisions de croissance du commerce de détail varient d’une entreprise à l’autre (du positif au négatif), tandis que le commerce de gros devrait progresser. Après un début d’année tout en retenue, le secteur de la construction s’attend à une amélioration pour les prochains trimestres. À noter que les perspectives sont nettement meilleures pour le génie civil que pour le bâtiment.
Le faible taux d’inflation a un effet positif sur la consommation privée, puisque les salaires réels augmentent. La consommation privée s’accroît en conséquence, même si le taux de croissance restera légèrement inférieur aux prévisions initiales. La consommation publique poursuit imperturbablement sa progression. Alors que les prix de l’immobilier ont nettement baissé en Allemagne ou en Autriche, les prix suisses se maintiennent à un niveau élevé et poursuivent même leur augmentation, en raison des réductions successives de taux d’intérêt décidées par la Banque nationale suisse. Après une année 2024 médiocre, les investissements en biens d’équipement repartent légèrement à la hausse. Dans l’ensemble, economiesuisse table sur une légère augmentation du PIB réel de 1,1% en 2025. En 2026 aussi, la Suisse connaîtra une croissance de 1,4%, inférieure à son potentiel.
En Suisse, une inflation proche de zéro
À l’échelle mondiale, l’inflation recule actuellement en raison de la baisse des prix de l’énergie. Cela se traduit par des baisses de prix pour les produits, de sorte que l’inflation importée est négative. Aux États-Unis et dans l’UE en particulier, le taux d'inflation n'est plus très loin de la barre des 2,0%, ce qui est positif. Les prix des services continuent, quant à eux, d’augmenter. L’inflation de base avoisine les 3% aux États-Unis et dans l’UE. Dans l’éventualité où les prix de l’énergie repartiraient à la hausse, l’inflation peut facilement se remettre en route. En Suisse, cette dernière est proche de zéro et l’inflation de base n’est que de 1%. economiesuisse part du principe que la BNS renoncera le plus longtemps possible à introduire des taux d’intérêt négatifs, en raison des effets de distorsion qu’ils créent. Néanmoins, il faut s’attendre à un nouvel ajustement des taux d’intérêt d’ici à la fin de l’année. L’inflation peut basculer très légèrement dans le négatif pendant une courte période, sans que cela ne crée d’inconvénients économiques majeurs.
Hypothèses du scénario de base et risques conjoncturels
Au vu des incertitudes importantes entourant le montant futur des droits de douane américains spécifiques à chaque pays, d’autres mesures et les réactions des pays, il est nécessaire de travailler avec des hypothèses. Notre scénario de base part du principe que les États-Unis renonceront à des droits de douane exorbitants vis-à-vis de la Suisse et de l’Europe et qu’ils fixeront leurs droits de douane supplémentaires à tout au plus 10%. Ce scénario de base inclut l’hypothèse selon laquelle les mesures protectionnistes continueront de se multiplier à l’échelle mondiale, mais sans escalade massive. Nous renonçons à évaluer un scénario aussi négatif. Quant à la dynamique politique, il est difficile de l’anticiper. Il n’est pas surprenant que les participants à l’enquête réalisée par economiesuisse au mois de mai mentionnent la problématique des droits de douane et le haut niveau d’incertitude comme principaux risques conjoncturels. Près de 50% des sondés mentionnent ces deux problématiques dans la question ouverte. Elles incluent probablement en partie les tensions géopolitiques. Un cinquième des participants environ a mentionné une nouvelle baisse de la demande – surtout des entreprises exportatrices – comme risque baissier. Les risques liés aux prix (taux de change, prix de l’énergie et des matières premières et taux d’intérêt) revêtent une très grande importance pour certaines entreprises même s’ils sont moins souvent mentionnés pour l’ensemble de l’économie. Enfin, l’inflation réglementaire pèse sur la croissance de nombreuses entreprises.
Figure n° 1: Les principaux risques conjoncturels