# 2 / 2025
17.04.2025

Réglementation des plateformes: privilégier une approche pragmatique en Suisse

Approches réglementaires internationales

Au sein de l’UE, une réglementation des plateformes fondée sur des valeurs

L’Union européenne entend également être à l’avant-garde de la réglementation relative aux plateformes. Son objectif est de mettre en place des cadres réglementaires exhaustifs visant à protéger les utilisateurs, à organiser les structures du marché et à éviter des distorsions de concurrence. Les principaux instruments réglementaires comprennent:

  • le règlement sur les services numériques (DSA), qui crée un environnement numérique sûr en établissant des règles claires pour lutter contre des contenus illicites, en imposant des obligations de transparence aux plateformes et en renforçant des mécanismes d’application,
  • le règlement sur les marchés numériques (DMA), qui promeut la concurrence en fixant des exigences spécifiques pour les plateformes puissantes sur le marché («contrôleur d’accès» ou «gatekeeper») afin d’endiguer les tendances au monopole,
  • le règlement général sur la protection des données (RGPD), qui établit des règles strictes en matière de protection des données, obligeant les entreprises à traiter des données à caractère personnel de manière transparente et sécurisée, et
  • le règlement relatif à la sécurité générale des produits (2023), qui accroît la responsabilité des plateformes en ce qui concerne la sécurité des produits qu’elles commercialisent, notamment via des obligations de contrôle et de notification.

Ce faisant, l’UE mise sur une réglementation fondée sur des valeurs, qui place la protection des consommateurs, la souveraineté des données et la transparence du marché au centre des préoccupations. Avec une multitude de prescriptions parfois très détaillées, elle façonne en profondeur dans les modèles d’affaires numériques.

Cependant, la densité réglementaire qui en découle pose de plus en plus de défis aux entreprises. En raison des économies d’échelle évoquées plus haut, les coûts de mise en conformité représentent une charge disproportionnée, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les start-up. Fortement axée sur les plateformes existantes, la réglementation risque en outre de nuire à l’innovation et à la compétitivité des entreprises européennes. La réglementation prévoit certaines configurations et ne laisse pas de place à de nouvelles idées. Des prescriptions aussi strictes risquent d’encourager le développement de modèles d’affaires numériques hors de l’UE. En même temps, des entreprises européennes perdent du terrain en raison d’incertitudes réglementaires et de coûts élevés.

On ignore si la réglementation étendue des plateformes au sein de l’UE atteint les objectifs visés ou si elle freine surtout, à long terme, la capacité d’innovation numérique de l’Europe. Dans de nombreux domaines, la pratique relative à la mise en œuvre n’est pas encore consolidée, de sorte que l’efficacité réelle des nouvelles règles n’apparaîtra que dans les années à venir. Au sein de l’UE, on admet de plus en plus qu’un activisme réglementaire trop strict pourrait affaiblir le marché unique numérique et ériger de nouvelles barrières pour entrer sur le marché.

Réglementation des plateformes aux États-Unis: une stratégie double, entre libéralisme et intérêts sécuritaires

Les États-Unis misent traditionnellement sur une réglementation des plateformes axée sur le marché et favorable à l’innovation, l’intervention de l’État étant limitée au strict minimum. La concurrence et l’autorégulation sont considérées comme des mécanismes de contrôle essentiels pour encourager l’innovation technologique et garantir aux entreprises une certaine flexibilité sur le marché.

L’État intervient en priorité via le droit des cartels. La Federal Trade Commission (FTC) et le Ministère de la justice (DOJ) s’efforcent parfois de prendre des mesures agressives contre des plateformes puissantes sur le marché. L’issue de nombreuses procédures reste toutefois incertaine sous la nouvelle administration américaine. Si certains acteurs politiques plaident pour une attitude plus ferme à l’égard des groupes tech, des acteurs économiques importants considèrent la surréglementation comme un obstacle à l’innovation.

Au-delà de questions inhérentes au droit des cartels, la réglementation des plateformes prend de plus en plus une dimension sécuritaire aux États-Unis.

Le traitement de plateformes commerciales chinoises telles que Shein et Temu, qui font pression sur le commerce de détail américain en raison de livraisons directes et d’une fixation des prix agressive est un sujet particulièrement controversé. Une baisse des franchises douanières pourrait atteindre spécifiquement ces fournisseurs et être interprétée comme une barrière à l’entrée sur le marché. L’évolution de la réglementation américaine relative aux plateformes sous la nouvelle administration reste incertaine.

En Chine, une réglementation politique des plateformes

La Chine est dotée d’une réglementation des plateformes pilotée par l’État, qui associe étroitement le contrôle économique à des objectifs politiques. Le gouvernement qui a d’abord créé un environnement favorable à la croissance d’entreprises telles qu’Alibaba, Tencent et ByteDance, mise désormais davantage sur la réglementation et le contrôle étatique.

  • Mesures liée au droit des cartels: Des entreprises comme Alibaba et Tencent ont été obligées d’adapter leurs pratiques. L’introduction en bourse d’Ant Groupe, filiale FinTech d’Alibaba, a ainsi été stoppée et Tencent a été confronté à des restrictions dans le domaine des jeux vidéo.
  • Contrôle politique: Les plateformes sont tenues de transmettre les données des utilisateurs aux autorités gouvernementales et de développer des technologies de surveillance et de censure.

Cela inclut des règles strictes de stockage des données et des algorithmes de modération du contenu. Ces interventions ont ralenti la croissance des entreprises technologiques chinoises et entamé la confiance des investisseurs internationaux. Parallèlement, des plateformes chinoises telles que TikTok, Shein et Temu font face à une pression réglementaire croissante à l’étranger. En Suisse aussi, il existe déjà des interventions politiques qui ciblent Temu. Pendant ce temps, on soupçonne de plus en plus les plateformes chinoises actives à l’échelle internationale de bénéficier parfois d’un soutien étatique considérable, ce qui permet de proposer des offres avantageuses et crée des distorsions de concurrence considérables.

La stratégie de la Chine en ce qui concerne les plateformes illustre le lien étroit entre contrôle économique, pilotage politique et intérêts géopolitiques. Les plateformes numériques n’y sont pas seulement des acteurs du marché, mais également des instruments qui permettent à l’État d’exercer son influence, également à l’étranger.

Avec la DSA et la DMA, entre autres, l’UE mise sur une réglementation stricte pour protéger les consommateurs, établir la transparence du marché et garantir une concurrence loyale. Mais des coûts de mise en conformité élevés pourraient peser sur les PME et les start-up et freiner l’innovation. La question de savoir si la réglementation renforce ou affaiblit le marché unique numérique reste ouverte.