Renforcer la concurrence plutôt qu’imposer un contrôle étatique des prix
Cet article a été écrit par Basile Dacorogna et Maxime Schöller.
L’essentiel en bref:
- Selon l’économie, seule une concurrence saine permet durablement des prix bas et une qualité élevée
- Il importe d’évaluer les effets concrets sur la concurrence et de distinguer les cartels dommageables des coopérations utiles
- La pratique actuelle frappe notamment les PME, qui faute de département juridique spécialisé, renoncent à des coopérations
On entend de plus en plus que la révision de la loi sur les cartels ramènerait la Suisse à un prétendu «paradis des cartels». Cette rhétorique alarmiste masque le vrai enjeu: comment garantir une concurrence efficace sans étouffer l’esprit d’entreprise?
Soyons clairs: ce que les économistes entendent par cartel – les véritables ententes sur les prix, les quantités ou les territoires – est sans ambiguïté nuisible et doit continuer à être sanctionné. Le problème est ailleurs: depuis l’arrêt Gaba, la pratique actuelle, trop formaliste, assimile presque automatiquement à une infraction grave des accords entre entreprises même lorsqu’aucun effet négatif sur la concurrence n’est démontré.
Certains pensent que l’État doit intervenir pour faire baisser les prix. L’économie, elle, est convaincue que seule une concurrence saine permet durablement des prix bas et une qualité élevée. C’est d’ailleurs le principe fondateur du droit des cartels: sanctionner les comportements réellement nocifs et laisser vivre les coopérations neutres ou bénéfiques. Les interventions doivent donc rester ciblées et proportionnées – pas se substituer au marché. Si certains cartels sont vraiment nuisibles, en prouver les effets ne devrait pas poser problème.
La révision vise précisément à corriger ce déséquilibre. Plutôt que de sanctionner selon des critères purement formels, il s’agit d’évaluer les effets concrets sur la concurrence. Cette méthode – en vigueur dans l’UE et ailleurs – permet de distinguer les cartels nocifs des coopérations utiles. Oui, l’UE connaît des restrictions fondamentales interdites en soi. Toutefois, ces restrictions sont strictement délimitées: dans le cas des accords verticaux, elles s’appliquent à titre exceptionnel, et pas pour les entreprises dominantes, où une analyse d’impact est toujours nécessaire. Le Tribunal de l’UE rappelle que les ententes dites «par objet» doivent être interprétées de manière très restrictive et que l’évaluation des effets concrets reste la règle.
La pratique actuelle frappe notamment les PME. Bien qu’elles aient des parts de marché limitées et influencent rarement la concurrence de manière perceptible, elles se retrouvent dans le viseur en raison d’une application formaliste du droit. Ne disposant pas de départements juridiques spécialisés, elles renoncent à des coopérations – alors que ces projets seraient essentiels pour renforcer leur compétitivité face à la concurrence internationale.
La révision modernise le droit des cartels et replace la proportionnalité au centre. Elle ne cherche pas à excuser les abus, mais à concentrer la régulation sur les comportements véritablement nocifs. Ceux qui dénoncent un retour en arrière se trompent de combat. Le vrai conservatisme consiste à maintenir un système inadapté aux réalités économiques.
Un droit des cartels qui interdit des coopérations sans effet négatif sur la concurrence ne profite ni aux consommateurs, ni aux entreprises. Or un marché qui fonctionne est le meilleur garant de prix compétitifs. Le Parlement a aujourd’hui l’occasion, avec le compromis équilibré du Conseil national, d’apporter une solution durable: sanctionner les véritables abus, encourager les coopérations utiles et donner à la Suisse un droit des cartels adapté aux défis futurs.
Cet article a paru dans l’Agefi le 21 août 2025.